Mercredi 7 juin 2017 Antoine RUSCIO, Michel SERFATI - «De l’épistémologie comparative : hommages à Gilles Gaston Granger »

Cette séance s’inscrit en hommage à Gilles-Gaston Granger, qui nous a quitté en août dernier. Philosophe des systèmes scientifiques, en même temps que de l’homme et du langage, licencié en mathématiques,  il fonda sur celles ci (et sur la logique) une discipline spécifique neuve,  l’épistémologie comparative que, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, il définissait comme la recherche et l’analyse des caractères communs (épistémologiquement parlant) à des systèmes scientifiques divers - une perspective de recherche qui rejoint incontestablement certaines de nos préoccupations dans ce séminaire. Il avait fondé à Aix en Provence le Centre d’épistémologie comparative (CEPERC), auquel il demeura toujours attaché. Résistant, élève de Bachelard et de Cavaillès,  Granger fut ainsi, en France, au siècle dernier, un philosophe exceptionnel, tant par sa rigueur que sa lucidité. 

Antoine RUSCIO

IREM de Paris, Université Paris-Diderot

« La notion de pensée formelle chez Gilles-Gaston Granger»

Il y a, nous dit GGG, des usages de la pensée formelle, et ces usages   peuvent être significativement différents ; pour ne citer que ceux-là,  les usages de la pensée formelle dans les arts, la science, la philosophie.

L’usage qui va principalement nous retenir est l’usage de la pensée formelle comme « instrument de connaissance scientifique » ; la raison en est qu’il y a un rapport qu’on pourrait dire essentiel entre pensée formelle et science. Selon GGG, en effet, « …le scientifiquement connaissable dépend exclusivement des déploiements de la pensée formelle. » Pour arriver à cette thèse, il a fallu que GGG remodèle considérablement la notion de pensée formelle jusqu’à, écrit-il, « …  prêter un sens assez nouveau à la pensée formelle ». On peut situer grossièrement ce changement en remarquant que pour GGG, pensée formelle,  pensée symbolique et pensée objective s’inter-impliquent l’une l’autre.

C’est donc ce « sens assez nouveau » de la pensée formelle que je tenterai de rendre accessible.

(Les textes en italiques sont des citations de l’avant-propos de « Formes, opérations, objets », Vrin, 1994, p.8).

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Michel SERFATI

IREM de Paris, Université Paris-Diderot

« Sur les concepts mathématiques ‘naturels’

»  Mon exposé s’efforcera de cerner ce qui constitue, en mathématiques, le   “naturel”.  C’est une question qui me semble se poser très tôt, et dans diverses circonstances, dans la mesure où, préalablement à toute réflexion ou analyse, certains objets ou certaines procédures semblent indiscutablement relever de ce qualificatif de ‘naturel’, alors même que d’une façon un peu surprenante, le terme n’apparaît que rarement en tant que tel en mathématiques - ce que note pertinemment G. Granger. L’exposé se constituera de deux parties nettement différenciées. La première analyse un remarquable article de Gilles Gaston Granger, texte de philosophie des mathématiques, gouverné par un questionnement, neuf à  ma connaissance, sur les objets ‘naturels’ en mathématiques,  auquel je m’efforcerai d’apporter un commentaire épistémologique et philosophique. Il présente certaines conclusions, indiscutables et en même temps fort simples, même si elles n’avaient pas été jusqu’ici dégagées. La seconde partie est centrée sur des préoccupations qui me sont familières comme objets mathématiques contemporains, mais aussi comme sujets historiques (les algèbres de Boole et de Post). Je tenterai   d’abord de répondre, à partir de mes expériences, à la question initiale de Granger sur les objets ‘naturels’ en mathématiques, puis d’élargir la problématique à ce qu’on peut appeler, chez les mathématiciens, des ‘attitudes naturelles’.

G.G. Granger : «Sur l’idée de concept mathématique “naturel”» in Formes, Opérations, Objets, Vrin. Paris. 1994,157-182.